ÉGALITE DE GENRE ET CONSERVATION DE LA BIODIVERSITE AU TOGO : UNE CONVERSATION AVEC LE POINT FOCAL NATIONAL DE LA CDB, DR. AMAH ATUTONU, EPSE KUEVIAKOE

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A l’occasion de la journée internationale des droits de la femme 2025, Le NBSAP Accelerator Partnership a reçu en interview exclusive Dr Amah Atutonu Epse Kueviakoe, point focal national de la CDB au ministère de l’environnement et des ressources forestières du Togo. L’intégralité de l’échange sans modification…

Le Togo est en première ligne dans les efforts visant à garantir que les femmes participent activement à la conservation de la biodiversité. Le NBSAP Accelerator Partnership est entretenu avec Dr Amah Atutonu, point focal national pour la Convention sur la Diversité Biologique (CDB), pour savoir comment le pays travaille à l’intégration d’approches intégrant la dimension de genre dans sa Stratégie et Plan d’Action National pour la Biodiversité (SPANB).

Le Cadre Mondial pour la Biodiversité Kunming-Montréal (KM-GBF) reconnaît que l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes et des filles sont essentielles à sa mise en œuvre. Cette participation équitable est d’autant plus importante que la perte de biodiversité a un impact disproportionné sur les femmes, en particulier les femmes autochtones, les femmes des communautés rurales, et d’ascendance africaine qui dépendent fortement des ressources naturelles et des écosystèmes pour leur subsistance et leur responsabilité quotidienne en matière de soins. Pour parvenir à un changement significatif, il est essentiel d’amplifier la voix des femmes et de garantir leur participation active à la recherche et à la mise en œuvre des solutions à la crise de la biodiversité.

Ces dernières années, le Togo, un des pays les moins avancés (PMA), a mis en œuvre des réformes globales en matière d’égalité des genres et figure aujourd’hui parmi les économies qui se réforment le plus rapidement en ce qui concerne l’amélioration de la situation économique des femmes. Si les groupes de femmes ont été directement impliqués dans le processus d’examen de la SPANB du pays par le biais d’organes nationaux multisectoriels, des défis demeurent quant à la réalisation de l’égalité des genres dans le domaine de la conservation de la biodiversité. Récemment, lors du Forum des femmes de la 16ème Conférence des Parties à la Convention sur la Diversité Biologique (CdP16), le Togo a été reconnu comme un champion du genre et de la biodiversité.

Le Togo figure parmi les sept pays qui collaborent avec le NBSAP Accelerator Partnership dans le cadre du projet financé par le gouvernement canadien « Accélérer le changement systémique pour l’égalité des genres et la conservation de la biodiversité par le biais des SPANB ». Le NBSAP Accelerator Partnership soutient ces pays dans l’intégration des politiques nationales, les préoccupations liées au genre et à la biodiversité et dans la mise en œuvre des cibles 22 et 23 du Cadre Mondial pour la Biodiversité et du Plan d’Action pour l’égalité de Genre (2023-2030) de la CBD .

Dans le cadre du présent entretien, le Dr Atutonu explique l’approche passionnante du Togo, en soulignant ses expériences, ses défis et ses espoirs

Q : Pouvez-vous présenter ?

R : Je me nomme Dr Amah ATUTONU, Epse KUEVIAKOE. Je suis le directeur des ressources forestières au Ministère de l’Environnement et des Ressources Forestières du Togo et point focal national de la Convention sur la Diversité Biologique.

Je suis fondatrice d’une association de femmes qui œuvre pour l’autonomisation des femmes et des filles : l’Association des Femmes pour la lutte contre la Pauvreté (AFLP). Cette association est aujourd’hui très engagée dans la révision et la mise en œuvre de la Stratégie et Plan d’Action National pour la Biodiversité (SPANB).

Je me réjouis de l’opportunité que vous m’offrez de partager avec vous et d’autres acteurs mon expérience en matière de prise en compte du genre dans les efforts de conservation de la biodiversité et je voudrais exprimer ma sincère gratitude au NBSAP Accelerator Partnership pour l’appui apporté au Togo dans la mise en œuvre efficace de cibles 22 et 23 du Cadre Mondial de la Biodiversité de Kunming-Montréal axés sur le genre.

Q : Que signifie pour vous l’égalité de genre ? Qu’est-ce qui vous incite à travailler à l’intersection de l’égalité de genre et de la conservation de la biodiversité ?

R : Si nous nous admettons que le genre contribue à la construction socio-culturelle des rôles masculins et féminins et des rapports entre les femmes et les hommes, l’égalité de genre correspond selon moi à un principe qui vise à garantir les mêmes droits et à donner les mêmes chances et avantages aux femmes et aux hommes dans la participation aux prises de décisions relatives aux politiques de développement économique et social. Dans le domaine de la biodiversité, ce principe permet aux femmes et aux hommes de bénéficier des mêmes droits pour l’accès aux ressources et la répartition des avantages découlant de leur utilisation.

Concernant mon incitation à travailler à l’intersection de l’égalité de genre et de la conservation de la biodiversité, je voudrais souligner qu’au sein de nos sociétés les femmes sont souvent reléguées au second plan si bien que dans la plupart du temps, elles n’ont pas accès à l’information, à la prise de parole, et ne bénéficient pas des projets de développement dans leurs localités. Dans certains cas, les femmes hésitent à prendre des engagements et rencontrent des difficultés à s’organiser pour mieux agir.

Pourtant, les femmes constituent une catégorie d’acteurs qui utilisent davantage les ressources naturelles que les hommes, telles que l’eau (dans le foyer, l’agriculture), la terre (agriculture), les ressources biologiques (prélèvement de bois de chauffe, des produits forestiers non ligneux pour satisfaire les besoins alimentaires). Ainsi, toute décision prise sur le plan juridique ou politique a des impacts sur le quotidien de ces femmes, d’où la nécessité de les impliquer dans les processus décisionnels et de mise en œuvre des actions de conservation de la biodiversité.

Q : Le Togo a fait des progrès considérables ces dernières années pour améliorer l’égalité de genre. Comment les aspects liés au genre sont-ils pris en compte dans les politiques et stratégies nationales en matière de biodiversité au Togo ? Comment le genre est-il pris en compte dans la récente SPANB du Togo ?

R : La problématique du genre est au cœur des préoccupations du Chef de l’Etat togolais, en témoigne la composition des différents gouvernements qui se sont succédé ces dernières années. Il en est ainsi pour plusieurs postes de responsabilité dans la hiérarchie institutionnelle et administrative du pays, et j’en suis moi-même un exemple. Cette dynamique impulsée par le gouvernement se transmet progressivement à toute échelle, notamment au niveau des différentes sphères techniques dont les questions de la conservation de la nature.

Dans le cadre de l’élaboration de la politique forestière du Togo, un accent particulier a été mis sur l’amélioration des capacités des femmes et des personnes vulnérables dans les efforts de conservation. Cela se traduit par la nécessité de tenir compte de la particularité des incidents de certaines réglementations sur le quotidien des femmes et de prévoir des mesures alternatives d’amélioration de leurs conditions de vie.

En ce qui concerne la SPANB, la question du genre est prise en compte à deux niveaux. Tout d’abord, au niveau institutionnel, la gouvernance du processus de révision de la SPANB était assurée par deux organes nationaux multisectoriels dont la composition inclut fortement des groupes de femmes – ces derniers ont pu contribuer significativement à la définition des cibles nationales alignées au Cadre Mondial pour la Biodiversité. Cette forte implication des femmes a eu des impacts positifs sur le contenu de la SPANB qui a défini des cibles et des actions particulières pour le compte du genre. Ainsi, la cible 14 de la SPANB prévoit deux actions phares sur le genre, notamment :

  • la promotion de la représentation des femmes, des jeunes et des personnes vulnérables dans les comités communaux de gestion de la biodiversité ; et
  • la mise en place des programmes éducatifs et de formation des femmes leaders pour une participation active des femmes dans le processus de prise de décision en matière de conservation de la biodiversité.

Q : Le Cadre Mondial de la Biodiversité (CMB) appelle à une approche de l’ensemble du gouvernement et de l’ensemble de la société. Comment les acteurs et gouvernements de la société civile travaillant sur l’égalité de genre ont-ils été impliqués dans le processus de révision de la SPANB ? Et comment ces acteurs continueront-ils à être impliqués dans la mise en œuvre et le suivi de la SPANB ?

R : Le processus de révision de la SPANB au Togo, s’est déroulé suivant une approche pangouvernementale et pan sociétale, conformément au CMB. Elle s’est traduite par la mise en place, par un arrêté du Ministre chargé de l’environnement, d’un cadre de gouvernance du processus impliquant tous les secteurs de l’armature gouvernementale, les collectivités locales, les organisations de la société civile, les groupements de femmes et de jeunes. L’ensemble de ces représentants formait ce qu’on a appelé : comité national de révision. Ces acteurs avaient pour missions de donner des orientations stratégiques pour la définition des cibles et pour la prise en compte des préoccupations de toutes les couches sociales. Ils avaient également pour mandat de s’assurer que les cibles nationales proposées correspondaient aux aspirations nationales en matière de biodiversité.

Dans la phase de mise en œuvre de la SPANB, cet organe continue de jouer un rôle fondamental. En effet, le mécanisme de suivi établi par la SPANB indique que le comité national de révision est chargé du suivi des travaux de révision, et constitue l’organe de suivi pour la phase de mise en œuvre des cibles nationales. Par conséquent, ce sont ces mêmes acteurs qui suivront l’exécution des actions définies dans la SPANB pour une consistance et une efficacité des interventions. 

Q : Le Togo est l’une des 62 Parties à la CDB qui a désigné un Point Focal Genre. Quel rôle joue ce point focal au Togo ?

R : Le point focal genre en matière de biodiversité veille à la prise en compte des décisions de la conférence en lien avec le genre dans les processus de prise de décisions dans le domaine de conservation de la biodiversité. A cet effet, Il : analyser les implications des cadres juridiques et des décisions administratives sur le quotidien des femmes, des jeunes et des personnes en situation de handicap ; proposer des mesures visant à renforcer la participation de ces catégories de personnes aux prises décisions au niveau local et national ; proposer des approches de solutions visant à renforcer la résilience des groupes vulnérables vis-à-vis des changements induits par des mesures de protection de la biodiversité. Etc.

Q : Nous pourrions faire partie de votre expérience et des principaux enseignements tirés de votre participation à la CdP16, en particulier au Forum des femmes, où le Togo a été désigné comme champion du genre et de la biodiversité ?

R : Je me réjouis d’avoir été associé aux échanges du forum des femmes lors de la CdP16. Je voudrais saisir cette occasion pour féliciter le Caucus des femmes, organisateur dudit forum, pour sa détermination indéfectible à faire des considérations du genre une réalité dans les processus décisionnels de la Convention sur la Diversité Biologique.

Revenant à la quintessence du forum, cela a été une très belle occasion de partager les expériences sur les efforts consentis par les Etats aussi bien sur le plan politique que juridique pour une prise en compte du genre dans les projets de développement. Les partages d’expériences ont été axés également sur les actions entreprises dans les différents pays impliquant les femmes ou les actions entreprises par les femmes pour contribuer à la conservation de la biodiversité. Les femmes sont à la fois actrices et bénéficiaires des efforts de conservation de la biodiversité.

Comme autre enseignement, la prise en compte du genre dans la conservation de la biodiversité implique une diversité d’acteurs. Cela s’est traduit clairement à travers la diversité d’acteurs ayant pris part au forum. Nous pouvons noter la participation des représentants des secteurs publics, des organisations internationales, des peuples autochtones, du secteur privé, des organisations de la société civile, etc.

Il faut également souligner que les femmes sont engagées pour apporter leur pierre à l’édifice en ce qui concerne la conservation de la biodiversité, en vue de sa valorisation pour le bien-être de la population. Dans cette perspective, elles prennent des initiatives qui n’aboutissent pas, faute de moyens financiers. Le forum encourage la mise à la disposition des femmes, de ressources financières cohérentes.

Q : Comment les décisions prises lors de la CdP16, telles que la reconnaissance du rôle des peuples autochtones et des communautés locales, ont-elles un impact sur votre travail au Togo ?

R : En réalité, le Togo n’a pas attendu la décision de la CdP16 pour mettre les communautés locales au cœur des priorités nationales en matière de conservation de la biodiversité. En effet, dans les processus de planification stratégique, les communautés locales – à travers la chefferie traditionnelle, participent au processus de prise de décisions concernant la gestion des ressources de leurs localités. La décision de la CdP16 vient renforcer ces efforts déjà enclenchés au niveau national et permettra d’accorder plus d’attention et de place aux communautés dans la définition des orientations stratégiques concernant les ressources de leurs terroirs. Pour ce faire, Il sera question :

  • d’accompagner davantage les différentes communautés dans leur organisation, structuration et reconnaissance formelle en tant qu’entité locale de conservation de la biodiversité ;
  • de valoriser leurs pratiques traditionnelles de conservation de la biodiversité ; et
  • de renforcer leurs capacités pour faciliter leurs implications et interventions dans les forums nationaux et internationaux.

Q : Quels sont les principaux défis que vous rencontrez dans l’intégration de l’égalité de genre dans les politiques et les actions en faveur de la biodiversité ?

R : Les défis rencontrés dans l’intégration du genre dans les politiques et les actions de conservation de la biodiversité sont entre autres :

  • le manque des spécialistes en genre en lien avec la gestion de la biodiversité ;
  • la représentation insuffisante des groupes vulnérables dans les instances nationales et locales ;
  • le niveau d’étude et de connaissance relativement bas de la plupart des femmes au niveau local, etc.
  • l’effet des pesanteurs socio-culturels (difficultés pour les femmes de prendre la parole en public, l’exclusion des femmes dans les réunions de prise de décision ).

Q : Quelles stratégies et actions envisagez-vous pour relever ces défis ?
R : Pour relever ces défis, le Togo entend, dans le cadre de la mise en œuvre de sa SPANB :

  • veiller à la représentation des femmes, des jeunes et des personnes vulnérables dans les comités locaux de gestion de la biodiversité ;
  • promouvoir la participation active des femmes dans les processus de prise de décision en matière de conservation de la biodiversité à travers la mise en œuvre des programmes de formation des femmes leaders ;
  • formaliser et accompagner les groupes de femmes communautaires de conservation de la biodiversité ;
  • accompagner les associations de femmes et des jeunes dans leurs initiatives de résilience.

Q : Quelles sont vos attentes concernant le projet du NBSAP Accelerator Partnership sur l’égalité de genre et la biodiversité au Togo ?

R : C’est une occasion pour nous. Nos attentes concernant ce projet au Togo est de trois ordres. Il s’agit notamment de permettre au Togo de :

  • disposer de l’expertise en matière d’intégration du genre à travers les renforcements des capacités prévues ;
  • déterminer de manière exhaustive possible les facteurs limitant l’épanouissement de la femme et la prise en compte du genre dans tous les secteurs en matière de conservation de la biodiversité ;
  • définir les approches de solutions adaptées pour relever les défis d’intégration du genre.

Q : Comment envisager-vous de travailler en partenariat avec des organisations de femmes, les peuples autochtones et les communautés locales et d’autres acteurs non étatiques concernés afin d’identifier leurs besoins, de combler les lacunes en matière de capacités et de concevoir des solutions proposées ?

R : Dans tous les projets, on essaie de prendre en compte toutes les parties incarnent. Le partenariat avec des organisations de femmes, représentants des communautés locales et d’autres acteurs non étatiques concernés se fera à travers :

  • la représentativité au sein du comité national et du comité technique de mise en œuvre du projet ;
  • l’identification en tant qu’acteurs cibles dans le cadre de la collecte des données ; pour ça, c’est important de réaliser une cartographie.
  • la participation aux ateliers d’identification des besoins et de formulation des approches de solutions, etc. (un pourcentage serait donc défini à cet effet).

Q : D’après votre expérience au Togo, qu’est-ce qui a le plus d’impact pour promouvoir l’égalité de genre dans les politiques et les actions en matière de biodiversité ?

R : Pour promouvoir l’égalité de genre dans les politiques et les actions en matière de biodiversité, il faut un engagement politique comme c’est le cas dans notre pays le Togo où le genre est reconnu comme un des principes directeurs pour booster le développement socio-économique. C’est dans cette optique que le pays a élaboré un guide d’intégration du genre dans tous les projets de développements tout en encourageant une budgétisation sensée au genre dans toutes planifications sectorielles.

Il est également nécessaire d’assurer le renforcement des capacités à travers les formations permettant de combler les lacunes des différents acteurs de développement, notamment des femmes pour une meilleure compréhension de la prise en compte du genre dans les actions de développement.

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